L’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap a toujours été problématique  : elles demeurent désavantagées sur le marché du travail. En 2022, l'écart entre le taux d'emploi des personnes en situation de handicap et les autres était de 21,4 % au sein de l'UE, et de 20,8 % pour la France. Mais qu’en est-il des personnes dont le handicap est invisible ?

Indeed a voulu comprendre le vécu des salariés atteint d’un handicap invisible dans le milieu professionnel, et analyser les perceptions des recruteurs à ce sujet, à travers une étude réalisée avec l’institut de recherche OpinionWay. 

Les recruteurs alimentent la discrimination en surestimant l'impact du handicap sur la carrière

Les recruteurs ont tout à fait conscience des obstacles qui se dressent sur la route des personnes en situation de handicap invisible : 93 % des recruteurs estiment que les personnes en situation de handicap invisible font face à des défis plus importants que les personnes valides dans leur rapport à l’emploi.

Les salariés déclarant un handicap invisible, de leur côté, reconnaissent les difficultés que eux-mêmes ou leurs paires, rencontrent  ; que ce soit dans l’accès à l’emploi, le maintien, voire l’évolution dans un poste de travail. Mais leurs déclarations se veulent moins alarmantes que celles des recruteurs, comme le montre le tableau ci-dessous :

AffirmationsRecruteursSalariés déclarant un handicap invisible
“Il est plus difficile que pour les salariés valides de trouver un emploi”84 %62 %
“Il est plus difficile que pour les salariés valides de garder un emploi”72 %49 % 
“Il est plus difficile que pour les salariés valides d’évoluer dans son emploi”84 %56 %

Il semblerait qu’une très grande partie des recruteurs reconnaisse ces difficultés, qui peuvent être, selon certains, des barrières à l’embauche. Un des recruteurs interrogés confie : « Il n'est pas toujours opportun de signaler un trouble non visible (type psychique) lors de l'embauche. Cela reste une cause d'élimination. »

Du côté des salariés avec un handicap invisible, ce constat est également affirmé. Certains déclarent ainsi spontanément : « Il est (malheureusement) préférable dans le monde du travail à l'heure actuelle
de taire la réalité de son handicap invisible. »

Ces affirmations permettent d’envisager une double piste qui expliquerait ce décalage de perception entre recruteurs et salariés en situation de handicap invisible :

  • Par méconnaissance, volonté de bienveillance ou encore manque de moyens, les recruteurs peuvent surestimer les difficultés liées au handicap et préférer écarter les candidats en situation de handicap…, ce qui entraine une forme de discrimination ordinaire. 
  • Inversement, les personnes en situation de handicap peuvent relativiser les difficultés professionnelles qu’elles rencontrent ; soit parce qu’elles n’ont simplement pas de comparatif avec le vécu d’une personne « valide » ; soit parce que, pour compenser, elles dissimulent leur handicap afin d’éviter de subir des préjudices sur leur carrière professionnelle. 

Ce décalage de perception à l’égard du poids du handicap invisible sur la carrière professionnelle se retrouve aussi dans les questions liées à l’inclusivité en entreprise. 

L’inclusivité en entreprise, considérée comme acquise, éloigne davantage les recruteurs de la réalité des travailleurs handicapés

Malgré les efforts déployés par les politiques de sensibilisation, notamment à l’occasion des Jeux Paralympiques de Paris 2024, l’inclusion des personnes en situation de handicap en entreprise reste encore aujourd’hui un défi majeur. 

Ainsi, 68 % des salariés en situation de handicap et 59 % des recruteurs jugent l’action gouvernementale insuffisante. On relève tout de même une certaine timidité de la part des recruteurs, dont l’écart est de 9 points inférieurs à l’avis des salariés concernés. Cette timidité pourrait s’expliquer par les sanctions en cas de manquement auxquelles sont soumises les entreprises. En effet, les entreprises de plus de 20 salariés s'exposent au versement d'une contribution financière annuelle à l'Agefiph, en cas de non-respect de l'OETH.

De plus, les recruteurs semblent déceler une certaine évolution du regard sur le handicap en entreprise, notamment suite aux Jeux Paralympiques et aux cas de Covid long. Une opinion loin d'être partagée par les salariés concernés, qui n’abondent pas en ce sens : 

AffirmationsRecruteursSalariés déclarant un handicap invisible
Les Jeux Paralympiques ont contribué à faire évoluer le regard sur le handicap en entreprise46%28%
Le Covid long a fait évoluer le regard sur le handicap en entreprise43%25%

De fait, suite aux Paralympiques, 70 % des salariés déclarant un handicap invisible estiment ne pas voir de progrès, ou peu sur le regard porté sur le handicap en entreprise. Les avis vont également dans ce sens pour le cas du Covid long (73 %). Dans les deux cas, plus d’un tiers des salariés (35 %) ne voient strictement aucune évolution. Si le regard porté sur le handicap semble stagner, qu’en est-il de l’inclusivité des personnes en situation de handicap en entreprise ?

Il semblerait que l'engagement des entreprises en matière d'inclusion, qu'elle concerne les handicaps visibles ou invisibles, demeure perfectible : 

62 % des recruteurs reconnaissent que le handicap n’est pas suffisamment investi par les entreprises - un avis partagé par 93 % des salariés atteints d’un handicap, visible ou non.

Les recruteurs, tout en admettant certaines lacunes, se montrent souvent déconnectés du vécu des travailleurs en situation de handicap. Alors qu'ils estiment majoritairement que leurs collaborateurs sont dans leur ensemble sensibilisés et attentifs à l’inclusion des personnes en situation de handicap (64 %) et que ces derniers sont bien défendus et représentés au sein de leurs structures (57 %), moins de la moitié des principaux concernés partage ce sentiment (respectivement 47 % et 39 %).

Mettre en lumière un handicap favorise-t-il la discrimination ?

À l’heure actuelle, il est impossible de garantir l’égalité des chances et un environnement de travail inclusif pour les personnes porteuses de handicaps invisibles. En effet, 2 salariés en situation de handicap sur 5 (41 %) déclarent avoir subi au moins une forme d'inégalité ou de violence au travail. Les salariés rencontrant davantage ces situations préjudiciables sont ceux qui bénéficient d’au moins une reconnaissance officielle de leur handicap ; et qui, par conséquent, se sont davantage exposés : 58 % des salariés ayant une RQTH déclarent avoir subi au moins une forme d'inégalité ou de violence au travail contre seulement 29 % pour ceux ne possédant pas de reconnaissance officielle. 

Il semblerait également que les femmes en situation de handicap invisible, qui sont susceptibles de cumuler à la fois des discriminations sexistes et sur leur handicap, se déclarent plus souvent victimes de ces situations que les hommes : 46 % d’entre elles ont subi au moins une forme d’inégalité ou de violence, contre 37 % des hommes. Les salariés ayant des troubles psy et dys sont également plus affectés : 59 % d’entre eux rapportent ce genre de comportement, contre 40 % des salariés ayant des troubles physiques. 

Ces comportements vis-à-vis des salariés en situation de handicap invisible n’incitent pas ces derniers à révéler leur handicap. D’autant plus que ces discriminations, lorsqu’elles existent, peuvent aller loin. Si les salariés en situation de handicap invisible déclarent davantage avoir subi des préjugés de la part de leur direction ou de leurs collègues (26 %) et des moqueries (21 %) ; les cas de violences plus nettes comme le harcèlement et la rétrogradation existent également. 17% des salariés en situation de handicap invisible subissent du harcèlement et 16 % ont subi une rétrogradation.

Une question se pose alors : les salariés en situation de handicap invisible ont-ils vraiment quelque chose à gagner à dévoiler leur handicap ? Il semblerait que non, car plus un handicap est reconnu, plus cela peut entraver la carrière professionnelle. 

La RQTH, créée pour faciliter l’accès au travail des personnes en situation de handicap peut, à l’inverse, la compliquer. Ce statut génère davantage de difficultés en divulguant et en concrétisant la situation de handicap. En effet, le tableau ci-dessous montre que les personnes bénéficiant d'une RQTH déclarent des difficultés accrues par rapport à celles qui ne possèdent aucune reconnaissance officielle.  

AffirmationsSalariés ayant une RQTHSalariés sans reconnaissance officielle
“Vous rencontrez des difficultés à trouver un emploi”73 %55 %
“Vous rencontrez des difficultés à maintenir votre emploi”61 %40 %
“Vous rencontrez des difficultés pour évoluer professionnellement”65 %49 %

Cette dure réalité incite d’autant plus les salariés à dissimuler leurs “invalidités” invisibles. En effet : 

  • Seuls 30 % mentionneraient leur handicap invisible avant de signer un contrat de travail, s'ils devaient se retrouver dans un processus de recrutement demain.
  • Seulement 10 % envisagent de l’inscrire d’emblée dans leur CV. 
  • Près de 2 salariés portant un handicap invisible sur 5 (39 %) affirment qu’ils ne le feraient à aucun moment, car cela ne regarde pas leur employeur. 

La situation est pour le moins compliquée. Nous avons d’un côté, les entreprises qui paient des contributions forfaitaires si elles ne respectent pas un certain nombre de salariés en situation de handicap, et donc qui cherchent à les révéler. De l’autre, des salariés qui peuvent subir différentes formes de violences de la part de leurs collègues ou de la direction - et se confrontent à une reconnaissance officielle entravant leur évolution professionnelle. Dans ces conditions, ils ne sont, en aucun cas, encouragés à faire connaître leur handicap. Pour prévenir les comportements haineux et favoriser un environnement de travail sain en entreprise, il est primordial d’avoir des salariés formés à l’inclusivité. Actuellement, celle-ci est considérée comme acquise par les employeurs ; mais la réalité des salariés concernés est totalement différente.” commente Eric Gras, spécialiste du recrutement chez Indeed France. 


Méthodologie  

L’étude OpinionWay « Le handicap invisible au travail » a été réalisée pour Indeed du 11 au 20 octobre 2024, par questionnaire auto-administré en ligne sur système CAWI (Computer Assisted Web Interview). Cette étude a été réalisée auprès de deux échantillons :

  • Un échantillon de 536 salariés « recruteurs » (salariés qui encadrent au moins une personne et participent au processus de recrutement dans leur entreprise). Cet échantillon de recruteurs est issu d’un échantillon représentatif de la population française des salariés âgés de 18 ans et plus. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de secteur d’activité, de taille d’entreprise et de région d’implantation.
  • Un échantillon de 537 salariés en poste déclarant avoir un handicap invisible parmi lesquels : troubles de l’audition ou de la vision, douleurs chroniques ou affections physiques, maladies chroniques respiratoires, digestives, infectieuses ou auto-immunes, troubles psychologiques ou psychiatriques, maladies liées à l’âge, séquelles d’une maladie ou d’un accident, de troubles dys. Cet échantillon de salariés en situation de handicap invisible est issu d’un échantillon représentatif de la population française des salariés âgés de 18 ans et plus.