La population française vieillit, c'est indéniable. Nous sommes à environ 10 ans du pic de population en France estimée à 69 millions avant 2034. La question de l’intégration des seniors au sein de la société – et en particulier en matière d’emploi – devient de plus en plus cruciale, surtout dans un contexte de marché du travail très compétitif et de réforme des retraites à venir. En effet, les dirigeants sont globalement inquiets d'une pénurie de talents : 63 % des interrogés redoutent le manque de main d'œuvre dans leur secteur dans les années à venir, du fait du vieillissement de la population.

Les seniors sont-ils, comme on les décrit parfois, des profils peu attractifs, difficiles à manager, peu adaptables ou même en décalage avec les plus jeunes générations ? Les entreprises sont-elles prêtes à recruter davantage de salariés séniors ? En quoi sont-ils des ressources précieuses pour les entreprises ?

Dans sa dernière étude menée par OpinionWay, Indeed a interrogé des salariés et des dirigeants d’entreprise français pour réactualiser la perception des seniors dans leur vie professionnelle. 

Sondage OpinionWay pour Indeed

Cette étude a été réalisée en juillet-août 2022 auprès d’un échantillon de :

  • 1003 salariés (échantillon représentatif de la population salariée française d’entreprises privées de 20 salariés et plus âgée de 18 ans et plus)
  • et 406 dirigeants d’entreprise privée (échantillon représentatif des entreprises de 20 salariés et plus)

Senior, une question d'âge plus que d'expérience ?

Les dirigeants comme les salariés donnent un âge moyen de 54 ans pour être considéré comme senior, ce qui bat en brèche certains standards définissant la séniorité en entreprise dès 45 ans. Les salariés considèrent que l’âge à partir duquel un salarié devient trop âgé pour que son embauche soit pertinente est de 59 ans, contre 60 ans du côté des recruteurs. Ces résultats peuvent sembler étonnants au vu des difficultés rencontrées par de nombreuses personnes dès la cinquantaine pour trouver un emploi, mais les dirigeants d’entreprise semblent se montrer plus ouverts à des embauches tardives que ce que la société en perçoit.

81% des salariés et 80% des dirigeants considèrent que 45-50 ans est un âge encore jeune pour être qualifié de senior au travail.

On note également que le regard de leurs collègues est plus “vieillissant” que leur propre perception. En effet, 38% des salariés (tous âges confondus) ont déjà eu le sentiment d’être considérés comme seniors par leurs collègues plus jeunes, et 24% par leurs supérieurs hiérarchiques. Chez les plus de 50 ans, ce sentiment augmente significativement, avec respectivement 73% et 59% pour ces deux situations. De façon plus étonnante, 20% des moins de 35 ans se sont déjà sentis “séniorisés” par leurs collègues plus jeunes, et 10% par leurs supérieurs hiérarchiques, preuve que certaines cultures d’entreprise sont caractérisées par un jeunisme extrême. Dans chaque tranche d’âge en tout cas, les salariés sont bien plus souvent considérés par les autres comme des seniors, que par eux-mêmes.

Des craintes pour l’évolution professionnelle dès 45 ans

L’âge de 45 ans marque un tournant important dans la dynamique de carrière des salariés, qui se montrent plus inquiets ou frileux au changement. En effet, les interrogés partagent leur crainte de ne jamais retrouver de travail s’ils étaient au chômage après cet âge, si bien qu'une petite moitié d'entre eux n’oseraient pas changer d’entreprise même si l’opportunité se présentait.

Avoir un plan de carrière permettant d’être dans une entreprise, sans avoir à en changer jusqu’à la retraite semble alors une option rassurante. Il est important de noter que cette baisse de mobilité professionnelle vient des craintes mentionnées ci-dessus et pas d’un manque de motivation ou d’ambition : 59% des salariés indiquent qu’ils auront (ou auraient) besoin de se lancer de nouveaux défis professionnels après 45 ans, et 62% considèrent que les 45-50 ans sont toujours motivés par leur travail (une opinion qui atteint même 83% chez les dirigeants d’entreprise).

À partir de 45-50 ans, selon les salariés
La perspective de ne jamais retrouver de travail, si vous étiez au chômage, vous fait peur63 %
Il est pour vous indispensable d'avoir établi un plan de carrière pour être
dans une entreprise qui vous conviendra jusqu'à votre départ à la retraite
60 %
Vous aurez besoin de vous lancer de nouveaux défis professionnels59 %
Vous commencerez à préparer votre retraite49 %
Vous n'oserez pas changer d'entreprise même si l'opportunité se présentait49 %
La perspective d'être licencié vous inquiète44 %
Vous craignez d'être « placardisé » par votre entreprise37 %

Les seniors souhaitent intégrer et former les plus jeunes, mais pas leur céder la place

L’étude met également ses répondants face au challenge de la cohabitation entre seniors et nouvelles recrues, d’un point de vue collaboratif (transmission des savoirs) et économique (libérer des postes pour employer des jeunes). Si 83% des salariés se disent prêts à modifier leurs tâches à partir de 45-50 ans pour accorder plus de place à la formation de leurs jeunes collègues, ils se montrent bien plus conservateurs à l’idée de céder des avantages pour favoriser l’emploi des jeunes. 17% seraient prêts à accepter une baisse de salaire pour permettre à leur entreprise d’embaucher de jeunes salariés, dont 12% sous conditions (non précisées).

Les seniors, un profil apprécié des salariés mais moins recherché par les entreprises

Aujourd’hui, la majorité des salariés en poste ont entre 35 et 49 ans dans les entreprises de 20 salariés et plus. 93% des dirigeants déclarent qu’ils comptent un ou plusieurs salariés seniors dans leur entreprise, 82% en ont déjà recruté. Du côté des salariés, 75% en comptent un ou plusieurs dans leurs équipes. 

Bien qu’appréciés de leurs collègues, les seniors suscitent un intérêt un peu moins marqué de la part des recruteurs.

71% des salariés aimeraient que leur entreprise recrute davantage de seniors tandis que 60% des dirigeants d’entreprise souhaiteraient recruter un senior dans les prochains mois. 

L’engouement des recruteurs pour les profils seniors paraît faible quand on compare les bénéfices de ce que les seniors apportent aux entreprises. 

Des salariés qui ont de l’expérience à transmettre

Dirigeants comme salariés reconnaissent la valeur de leur expérience, qui constitue un véritable gain de temps et d’efficacité pour l’entreprise. À travers le tableau ci-dessous, on remarque que la plus-value perçue des seniors est davantage liée aux valeurs de partage et de transmission qu’à leurs compétences individuelles. 

Les principaux atouts des seniorsselon les dirigeantsselon les salariés
La transmission, le partage de savoirs aux collaborateurs52 %62 %
La connaissance du métier et son environnement52 %60 %
Le savoir-être, les soft skills acquises avec le temps47 %36 %
La fiabilité, la motivation et l’engagement46 %37 %
L'autonomie45 %52 %
La débrouillardise45 %49 %

Les dirigeants et les salariés s’alignent sur les deux atouts majeurs des seniors : la transmission, le partage de savoirs à d’autres collaborateurs plus novices; mais également la connaissance du métier et son environnement. Les salariés leur accordent d'ailleurs un crédit bien supérieur en la matière que les dirigeants d'entreprise.

On remarque cependant quelques dissonances de point de vue. Les dirigeants reconnaissent les soft skills comme véritable atout des salariés seniors, alors que ces compétences revêtent un caractère moins important pour les salariés. Ces derniers, à l’inverse, reconnaissent davantage l’autonomie et la débrouillardise des seniors que ceux qui les embauchent.

86% des salariés aiment travailler avec des personnes plus âgées qu’eux.

C’est d’ailleurs auprès des salariés de 45-50 ans que les personnes interrogées disent apprendre le plus d’un point de vue professionnel (pour 49% des répondants), tranche d’âge suivie de près par celle des 50-60 ans (pour 44% des répondants). 

En revanche, les plus de 50 ans ne sont pas perçus comme les plus performants, ni comme ceux qui ont les idées les plus intéressantes, et ne sont pas ceux avec lesquels les salariés préfèrent travailler. Dans ces trois catégories, la tranche d’âge la plus citée est celle des 30-44 ans. 

A noter toutefois : les salariés français préfèrent travailler avec les 50-60 ans plutôt qu’avec les moins de 30 ans (33% contre 26% du panel). La perception des moins de 30 ans est d’ailleurs assez négative dans l’étude : ils sont cités en premier comme les salariés monopolisant le temps de leurs collègues (55%) et comme une menace potentielle pour l’emploi de leurs collègues (50%).

68 % des dirigeants d’entreprise et 80% des salariés considèrent que les plus de 45 ans ne sont pas assez valorisés dans le monde professionnel.

La santé et la rémunération : principaux freins au recrutement des seniors

Malgré les qualités des salariés seniors, la question de leur embauche reste complexe, et les barrières au recrutement identifiées par les dirigeants d’entreprise et les salariés sont nombreuses.

Parmi les freins qui pourraient décourager les entreprises à recruter un senior, on retrouve principalement les problèmes de santé, la fatigue, les attentes en matière de rémunération et la difficulté d’appropriation des outils numériques.

Les freins au recrutement de seniorsselon les dirigeantsselon les salariés
Les problèmes de santé, la fatigue46 %48 %
Les attentes en matière de rémunération34 %39 %
La difficulté d’appropriation des outils numériques32 %34 %
Une vision dépassée du métier, une résistance au changement30 %32 %
La difficulté d’adaptation face aux mutations du métier ou des modes d’organisation29 %25 %
La difficulté à leur imposer des manager (notamment plus jeunes)28 %32 %
Le décalage générationnel, la difficulté d’adaptation avec
d’autres membres de l’équipe
20 %24 %

Les problèmes de santé et de fatigue sont sans doute un a-priori des recruteurs plus qu'une réalité. En effet, selon les chiffres communiqués dans le cadre du baromètre Absentéisme de Malakoff Humanis, rétrospective 2016-2022, l’absentéisme maladie se traduit par une surreprésentation des jeunes (18-34 ans), constante depuis 2016 (46% vs 42% pour l’ensemble) et en miroir une sous-représentation des plus de 50 ans (34%).

Quant à la rémunération, il s'agit là d'un raccourci un peu rapide, calqué sur une vision linéaire de la carrière qui est de moins en moins la norme aujourd'hui. Dans une logique d'évolution horizontale, un senior pourrait se retrouver débutant ou presque à un poste, tout en y apportant son expérience acquise sur d'autres types de missions.

L’adaptation aux équipes et aux process est aussi perçue, dans une moindre mesure, comme un obstacle à l’embauche de ces salariés plus âgés. Ainsi, les dirigeants évoquent également leur capacité à se faire aux nouveaux modes d’organisation, la difficulté à leur imposer des managers, notamment plus jeunes et les décalages relationnels avec les collègues.

Les préjugés liés à l’âge des seniors restent forts : 37 % des salariés âgés aujourd’hui de 50 ans ou plus reconnaissent s’être déjà vus reprocher d’être trop âgé pour le poste visé, lors de recrutements passés.

Un constat confirmé par les chefs d’entreprise : plus d’un quart des dirigeants avouent que face à des CV équivalents, ils privilégieraient le candidat le plus jeune plutôt que celui âgé de 45-50 ans (26%).

Avec une pénurie de travailleurs et une réforme des retraites en plein cœur du débat sociétal et sur fond de vieillissement démographique, il serait judicieux pour les dirigeants d’entreprise de revoir leur stratégie de recrutement en n’oubliant pas ces profils qui seront, quoi qu’il arrive, bientôt majoritaires dans les entreprises.

Charles Chantala, Senior Sales Director, Indeed France